L’in-discipline et l’indiscipline, des savoirs vers l’éducation.

Pierre Frackowiak intervenait au colloque Pasde0deconduite à Paris au Palais de la Mutualité le19 juin 2010.


 

Table-ronde 3. Enfance et famille : contrôle des billets ou invitation au voyage ?

Discutants : Gérard Schmit, professeur de pédopsychiatrie, François Bourdillon, médecin de santé publique et Dominique Terres, pédo psychiatre

Intervenants : Christopher Lane, professeur de littérature anglaise aux Etats Unis, Vincent de Gaulejac, professeur de sociologie Paris 7, Roland Gori, professeur de psychopathologie, Aix Marseille 1, psychanalyste et Pierre Frackowiak

 

Intervention de Pierre FRACKOWIAK :

L’in-discipline et l’indiscipline, des savoirs vers l’éducation.


Dans un livre remarquable « L’école de Jules Ferry, un mythe qui a la vie dure », qu’il faut avoir lu pour comprendre l’école, Jean Foucambert explique : « Charlemagne a donné l’habitude de mettre les bons élèves à droite et les mauvais à gauche. Toutes les représentations du jugement dernier font d’ailleurs la même chose avec les damnés et les élus. Présentée sous forme d’encouragement ou de sanction, cette notion morale du mérite imprègne toute l’école primaire ». Il cite Gilbert de Landsheere qui rappelle, dans son histoire mondiale des sciences de l’éducation, « qu’en 1922, un ministre français de l’Instruction a souhaité remplacer les examens dits de sélection sur la base de la culture générale par des tests d’aptitude afin de garantir l’intérêt général et sans doute aussi l’intérêt individuel. Cette proposition a soulevé des tempêtes dans la bourgeoisie parce qu’une telle mesure réduisait la liberté de ses enfants d’accéder à des places enviables et menaçait d’insérer dans la hiérarchie sociale trop d’individus des milieux populaires ».

Mais sur quelles bases classait-on les élèves ? La culture générale ? C’est quoi ? Les disciplines scolaires : dictée, calcul, lecture, grammaire, conjugaison, leçon de choses, histoire, géographie… plus une note de conduite ?

Rien n’est moins sûr.

 

La réussite ou l’échec dépendent surtout d’attitudes, de proximités culturelles envers les valeurs implicites de l’école. Il y a longtemps que l’on connaît le non sens de la notation. J’y reviendrai. On connaît aussi le poids des représentations traditionnelles dans l’opinion publique, y compris chez ceux qui en ont été victimes. On est dans le domaine des croyances habilement cultivées par la société au nom de l’élitisme républicain. On culpabilise toujours les victimes, instillant dans les esprits fatalité et résignation.

Pour beaucoup d’enseignants, ce n’est pas parce qu’il est incapable qu’un élève échoue, c’est parce qu’il n’y met pas assez de bonne volonté, d’application, qu’il ne travaille pas assez notamment hors de l’école – cf. la question des devoirs -, qu’il est finalement paresseux. Et s’il ne réussit pas alors qu’il a donné l’impression de faire des efforts, alors, c’est qu’il est bête et que l’on ne peut rien pour lui. Aujourd’hui, on se donne bonne conscience avec l’aide individualisée, mais on sait que cela ne changera rien.

On reste, on y est même revenu avec force,  dans la même logique. Les effets réels de cette attitude correspondent bien à ce que ses initiateurs et ses complices attendaient : moins de 50% des élèves obtenaient le certificat d’études jusque dans les années 50, sur ces 50%, tous ne faisaient pas zéro faute à leur dictée et ne réussissaient pas toutes les opérations. 15 % de la population consommait 85% de l’ensemble de la production culturelle et 50% des français liaient moins d’un livre par an. Quant aux savoirs dans le domaine de l’histoire (les dates et les personnages), de la géographie (la liste des préfectures et des fleuves), des leçons de choses… Il suffit de s’interroger sur ce que sait le français moyen de l’électricité, de la relativité, de l’atome, de la radio… Interrogeons-nous sur ce que nous savons nous-mêmes sur ces questions, sur la vache folle, sur le jus d’orange, sur l’avion à réaction, sur les pétroliers géants qui flottent, etc, etc…

 

L’expérience faite il y a quelques années est édifiante. Nous avons demandé à 100 étudiants de première année de droit de faire le schéma de l’appareil digestif de l’homme et nous l’avons comparé à des dessins d’enfants de section de grands et de cours élémentaire. 60 % des schémas des étudiants sont proches de ceux de l’école maternelle…

On a observé que, un an après la bac S, 30% des bacheliers ne savent pas établir un lien entre l’ADN, les maladies génétiques ou leur propre hérédité, 60% ne connaissent pas les spécificités respectives d’un atome, d’une molécule ou d’une cellule, 80% sont incapables de décrire la trajectoire du soleil dans le ciel, 80% ne peuvent établir de relations entre les organes, 90% ne repèrent pas les principales étoiles, 100% ne savent pas dessiner une carte même approximative de l’Europe. Quel constat dramatique pour l’institution ! Pas question, évidemment de regretter la connaissance des dates, des fleuves et de leurs affluents, des préfectures et sous-préfectures…

Mais posons-nous la question, à quoi servent les disciplines scolaires ? Conduisent-elles à l’éducation ?

 

Essayons quand même de mesurer ce qui nous reste de ce que nous avons appris à l’école en sachant qu’une forte proportion de ce que nous savons a été réappris bien après. Ce n’est pas facile d’ailleurs voire impossible de distinguer les savoirs initiaux scolaires, leur degré de rétention et de reconstruction. J’ai moi-même appris la grammaire et l’histoire en faisant l’école au CM2. On ne sait pas non plus vraiment comment on a appris. Si l’on prend l’exemple qui fait tellement débat de la lecture, bien fort qui peut prétendre savoir comment il a appris et quelle est la part de l’école ou d’autres acteurs éducatifs. Entre parenthèses, il est fort amusant que, dans ce domaine, des orthophonistes puissent prétendre que leur action a été déterminante dans l’apprentissage de la lecture, en quelques séances, en s’opposant généralement aux pratiques de la classe quand elles sont autre chose que du b-a- ba. Il est impossible, même en cas de réussite, de l’imputer à l’un ou à l’autre des intervenants.

 

L’école de Jules Ferry a cessé d’exister en tant qu’institution cohérente au cours des années 60, notamment à cause de cette découverte provoquée par la création du collège : une majorité des élèves ne comprenaient pas ce qu’ils lisaient quand ils arrivaient en 6ème, notamment les énoncés de problèmes. D’où les plans de rénovation pédagogique après 1968… Les nouveaux textes officiels, les réformes et même la loi de 89 n’ont pas réussi  à réaliser la transformation fondamentale qui était nécessaire. Mieux ou pire, on assiste depuis 2005 et 2007 à une formidable marche arrière parfaitement orchestrée avec les « nouveaux vieux programmes » de 2008 et l’évaluationnite aigue qui les rigidifie, renforçant le dangereux « teaching for testing », le contrôle des billets pour interdire les voyages.

 

J’ai toujours été frappé par ce constat que l’école est organisée depuis toujours pour le contrôle des acquis provisoires des élèves dans les matières scolaires, les disciplines, bien cloisonnées, objets de progressions rigoureuses, de répartitions par niveau et par  période de l’année. Les interrogations après chaque cours, les exercices de contrôle notés, les compositions, les classements, les remises de prix, les rituels comme la remise solennelle des classements dans les classes : le directeur ou la directrice qui passait dans chaque classe pour distribuer les classements, avec ses éloges et ses menaces, tantôt du premier au dernier, tantôt du dernier au premier. Ennui profond pour la moitié des élèves, de la moyenne de la fameuse et incontournable courbe de Gauss, terreur et humiliation pour les élèves du quart faible, plaisir de la compétition pour les élèves du quart fort.

Instituteur, je me demandais à quoi servaient ces rites, s’ils avaient un sens, s’ils étaient nécessaires pour apprendre. O

n allait à l’école pour être noté et classé pas pour apprendre. J’avais le souvenir de l’élève qui avait remarqué que les enfants des riches étaient tous dans le quart fort. Il est vrai que, gosse de pauvre, j’y étais aussi. Je ne voulais plus faire de compositions et de classements malgré les exigences de la directrice et les pressions du collège quand j’avais un CM2 comme si j’allais empêcher le collège d’assurer sa rentrée si je ne classais pas les élèves en y ajoutant des précisions sur leur caractère et la qualité de leur travail.

Un jour, je proposai à la directrice de faire le classement devant elle à main levée, qu’elle fasse les compositions, les corrige, établisse le classement et compare avec le mien. Evidemment, elle a refusé. J’ai fait des compositions comme la classe parallèle à la mienne et j’ai obtenu le même classement que celui qui avait été fait au pifomètre

 

Je me demandais comment les parents vivaient ce folklore ou ce psychodrame. En interrogeant les parents des enfants du quart faible, des gens comme ma famille, je constatai le sentiment de fatalité terriblement répandu. J’ai constaté plus tard, étant inspecteur, libéré des classements pas la loi de 89, que les parents des milieux les plus défavorisés étaient aussi attachés aux classements, pas pour les mêmes raisons sans doute que les parents du quart favorisé attaché à l’idée d’émulation et de compétition entre enfants du même milieu. Peut-être avec l’espoir ou le rêve que leurs enfants seraient mieux classés qu’eux quand ils étaient élèves.

 

J’ai toujours été étonné que l’école note les résultats à des exercices disciplinaires ou la capacité d’apprendre par cœur et de réciter, mais pas l’intelligence. Je me disais : « A quoi sert l’école si elle ne développe pas l’intelligence ? ». Devenu inspecteur, j’ai d’ailleurs souvent demandé aux enseignants les plus ouverts : « dans votre très belle leçon de conjugaison, de calcul ou de sciences, en quoi avez-vous développé l’intelligence de vos élèves ? Comment avez-vous fait ? ». Je sais, on objecte qu’il n’y a pas consensus sur la définition de l’intelligence, que certains prétendent que l’on ne peut pas mesurer puisqu’il y différentes intelligences. Je ne supporte pas cette idée d’intelligences différentes : l’intelligence manuelle, artistique, conceptuelle… qui hiérarchise évidemment les intelligences et qui justifie les ségrégations.

 

Comme les ailes de l’albatros, le carcan géant des disciplines empêche les enfants de voler.

 

Je vais vous infliger une histoire personnelle pour illustrer mes réflexions : celle de l’exploitation d’une BD dans un CE2 d’une école de ma circonscription 

C'est pas les plus gros les plus méchants

Voici une histoire, celle de Boule et Bill, une séquence au CE2, à AUBY. Chaque élève a devant les yeux la reproduction d'une page de la célèbre BD, sauf un, au fond de la classe, enfant du voyage de passage pour quelques jours, à qui le maître a généreusement donné un vieux "Rémi et Colette" pour "faire du soutien". Cette page de BD décrit remarquablement la promenade d'un chien ordinaire qui tient un bel os dans sa gueule. Il croise successivement des chiens de plus en plus gros et l'illustrateur traduit parfaitement la peur croissante du chien qui craint de perdre son os. Or, rien ne se passe, indifférence et même mépris des autres chiens y compris du dernier qui avait pourtant l'air particulièrement féroce. Arrive alors un petit chien, tout petit, maigrichon… Notre héros bombe le torse, affiche sa supériorité. Inconscient! Ce petit chien l'attaque et veut lui voler son os!  Le maître demande aux élèves de lire la page silencieusement, puis il commence sa leçon conformément à sa préparation:

- qu'est-ce qu'on voit sur la première image?

- y'a un chien. Y'a un arbre. (Avec cette intonation particulière, parfaitement imitable, que l'on n'entend qu'à l'école)

- oui, mais encore?

- le chien se promène… il a un os dans la gueule…

- c'est bien. Nous allons faire une belle phrase et nous l'écrirons sur les lignes sous le dessin

La phase d'élaboration fortement guidée permet de produire une phrase bien structurée, correspondant bien à une lecture des programmes.

On procède de la même manière pour chaque image. Le maître accélère un peu… On aura construit des  phrases, fait un peu de grammaire, de la conjugaison, de l'orthographe, du vocabulaire…

L'ennui gagne, plusieurs élèves décrochent, d'autres s'agitent…

Je précise qu'il ne s'agit pas de faire le procès, trop facile, du maître qui fait ce qu'il considère comme étant le mieux à faire… et qui aura l'augmentation de note quasi automatique qu'il attend. Je précise aussi qu'il s'agit d'un exemple de pratiques qui n'est ni exceptionnel, ni caricatural. Il correspond à la moyenne des pratiques en circonscription ordinaire. Ce qui démontre au passage la difficulté de la ou des réformes.

Parlons de pédagogie et d'enfant. Quel est le statut de l'élève dans une telle séquence? Quelle est sa part d'action possible, de réflexion, d'exercice de son intelligence, d'existence même?

Elle est nulle. Quasiment nulle. Un nombre incertain d'élèves écoutent et répondent aux questions fermées du maître…

Je reprends alors la classe avec un luxe de précautions par rapport à l'enseignant (mais dans la circonscription cette pratique est connue).

- Je voudrais reparler un peu avec vous de cette BD. Qu'est-ce qu'elle raconte? Qu'est-ce que c'est que cette histoire? Qu'en pensez-vous?

- Y'a un chien… Y'a un arbre… Le chien se promène…

- Oui, d'accord, je l'ai vu aussi… Mais je voudrais savoir ce que vous en pensez, ce que cette BD raconte… pas image par image…

Il est extrêmement difficile de faire comprendre mon attente. Les réactions scolaires se multiplient… Je désespère et je m'apprête à renoncer, je réfléchis déjà à ce que je vais dire à l'enseignant au cours de l'entretien… Comment analyser mon échec? Soudain, l'enfant du voyage lève la tête et crie: "C'est pas les plus gros les plus méchants" et il replonge dans Rémi et Colette.

Alors la classe devient euphorique. Déclic. Les réflexions fusent. On donne des exemples confirmant ou infirmant la légende. On cherchera d'autres récits, contes, fables où l'on rencontre la même légende.

Certes… ce n'est pas vraiment au programme du CE2. Alors que faut-il faire? Revenir d'urgence à la leçon de grammaire et aux règles? Changer l'enfant? Changer le programme?

Extrait de « Pour une école du futur. Du neuf et du courage » page 145, sous le titre « Confiance en l’enfant »

            Dans l’école d’aujourd’hui, l’enfant du voyage est condamné. Nul dans toutes les évaluations. Peut-être bénéficiaire d’heures supplémentaires de soutien en lecture et en vocabulaire ? A l’évidence, il n’a pas las bases !!! 

Tout le système des disciplines immuables, des préalables et des prérequis, des progressions linéaires, du simple et du complexe, du contrôle quasi instantané des acquis, des dossiers scolaires et des questionnaires d’enquêtes est une machine de guerre contre l’intelligence et la démocratie. Leurs  concepteurs de Jules Ferry à X. Darcos fondaient leurs politiques sur une conception de l’homme et de la société. Jules Ferry, ne l’oublions pas, voulaient créer une école pour éviter que le peuple ne crée la sienne. Il le dit clairement : « Dans les écoles confessionnelles, les jeunes reçoivent un enseignement dirigé tout entier contre les institutions modernes. On y exalte l’ancien régime et les anciennes structures sociales. Si cet état de choses se perpétue, il est à craindre que d’autres écoles se constituent, ouvertes aux fils d’ouvriers et de paysans où l’on enseignera des principes diamétralement opposés, inspirés peut-être d’un idéal socialiste ou communiste emprunté à des temps plus récents, par exemple à cette époque violente et sinistre compris entre le 18 mars et le 24 mai 1871. ». La politique de X. Darcos est finalement, fondamentalement, orienté dans un sens voisin : l’élitisme, la compétition individuelle, la loi du plus fort… et la bonne conscience pour les pauvres.

 

Dans ces contextes, les disciplines jouent un rôle considérable parfaitement résumé par Durkheim. Il évoque les leçons, les devoirs, la tenue, l’emploi du temps, l’ordre… et précise « Il ya ainsi une multitude d’obligations auxquelles l’enfant est tenu de se soumettre. Leur ensemble constitue ce que l’on appelle la discipline scolaire. C’est par la pratique de la discipline scolaire qu’il est possible d’inculquer à l’enfant l’esprit de discipline. »

 

On le voit bien : le savoir, les savoirs sont secondaires, Ils ne sont cités à aucun moment de ce long texte dont l’objet essentiel est la préparation au conformisme, à l’obéissance, un mot qui revient souvent dans les déclarations du gouvernement actuel. L’obéissance à tous les niveaux…

Les disciplines proposent évidemment quand même des savoirs. Nombre de savoirs et de compétences gagneraient à être enseignés ensemble de manière croisée : la maîtrise de la langue par exemple (on parle, on lit dans toutes les disciplines). Et l’expression de soi, la curiosité, l’ouverture, l’esprit critique ?

 

Le GFEN a consacré un numéro de sa revue Dialogue à l’automne 1999 à la question « Mais où sont passés les savoirs ? » avec notamment un remarquable de Marie Serpereau sous le titre « Des savoirs sans saveur ? »

 

Beaucoup de savoirs scolaires sont sans saveur, sans rapport perceptible avec les savoirs sociaux ni même avec les savoirs savants contemporains

 

Beaucoup de savoirs importants qui permettent de comprendre la société actuelle. André Giordan, professeur de didactique et d’épistémologie des sciences à l’université de Genève, directeur d’un laboratoire de recherche, cite en particulier le droit, l’économie, la psychologie, la sociologie, l’anthropologie, l’urbanisme… On sait pourquoi le droit et la médecine ont été exclus des programmes dès la fin des années 1800. Les pédagogues ajoutent volontiers la philosophie qui mobilise les enfants dès l’école maternelle. Pourquoi retrouve-t-on toujours et seulement les mêmes disciplines inchangées, celles d’il y a plus de 100 ans. Quand ma fille était en 6ème, j’avais le sentiment qu’elle faisait la même chose que moi. Mon petit fils est en 5ème, j’ai l’impression qu’il fait à peu près la même chose avec un vocabulaire technique neuf que je ne comprends pas alors qu’il recouvre les mêmes notions.

 

Il faut évidemment des savoirs disciplinaires, on ne peut pas organiser tout le temps scolaire et surtout toute la scolarité sur des approches transversales. Mais il faut repenser les programmes et l’évaluation avec une recherche de cohérence et une volonté de donner du sens aux savoirs scolaire de manière à développer telle ou telle attitude, telle ou telle démarche, tel ou tel concept organisateur. Giordan prend l’exemple de la géographie : comment contribue-t-elle à lire, écrire, compter, mais également au développement et à la mobilisation d’une démarche systémique ou du concept organisateur « énergie » ? D’une manière générale : il est indispensable de situer les problèmes dans leurs contextes, de décloisonner, de rééquilibrer, de déhiérarchiser… Cette nouvelle stratégie se porte vers la formation des citoyens mais aussi vers l’indécidable, l’incertain, le complémentaire ou le contradictoire 

 

On retrouve à travers cette question bien des aspects de la pensée pédagogique contemporaine

 

  • les réflexions d’Edgar Morin avec ses sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur… qui sont très éloignés au moins en apparence à la juxtaposition des disciplines classiques. Les cécités de la connaissance (la lucidité, l’erreur et l’illusion, l’intelligence générale), les principes d’une connaissance pertinente (situer dans un contexte et un ensemble), enseigner la condition humaine (unité et diversité), enseigner l’identité terrienne (communauté de destins), affronter les incertitudes (principes de stratégie), enseigner la compréhension (moyen et fin de la communication humaine), l’éthique du genre humain (individu, espèce, société)
  • les quatre piliers de Jacques Delors, avec toutes les poutres qui les relient et les renforcent dans tous les sens : apprendre à connaître, apprendre à  faire, apprendre à être, appendre à vivre ensemble
  • les situations problèmes de Gérard de Vecchi et les concepts clés d’Odette Bassis
  • l’importance de la prise en compte des finalités (Plus de fermeté sur les finalités dans notre livre sur l’école et la société, plus de liberté sur les modalités) et les outils mentaux de Philippe Meirieu : la déduction avec les hypothèses, les variables, les invariants, les points communs, l’induction, la dialectique, la créativité, la divergence… (cf. « apprendre oui, mais comment »)
  • l’auto socio construction des savoirs/saveurs et des compétences du GFEN
  • la production de savoirs par les élèves de l’ICEM Freinet

 

Tout ceci exige une autre conception de l’école que celle que nous avons connue, que nos enfants et petits enfants connaissent ou subissent, une autre philosophie de l’éducation dans une approche globale et pas seulement scolaire, une autre conception de l’homme et de la société que celle qui se construit aujourd’hui, aux antipodes de la société des gagnants et des experts.

 

Une conception de l’homme fondée sur la confiance et sur une vision optimiste de l’avenir.

 

Un homme qui ne soit pas qu’un récepteur passif et obéissant, un exécutant, mais un acteur capable d’exercer des responsabilités individuelles et collectives, de penser et de le dire, de se construire avec les autres tout au long de sa vie

 

Dans cette construction, le rapport au savoir est important. Comme l’explique Odette Bassis :

« Se construire dans le savoir, comme le corps se construit, grandit et vit dans le boire et le manger. Ce n’est pas seulement une métaphore puisque savoir vient du latin sapere qui signifie avoir de la saveur. Donc bien comme une métaphore. Retrouver l’imbrication qui fait tout l’humain entre corps et esprit. Le savoir comme praxis, comme faire ; le savoir comme produit de cette praxis, comme fait de pensée

Car s’il y a construction d’un savoir, c’est qu’il y a, dans cette action elle-même, construction de celui-là même qui construit ce savoir et dans son rapport aux autres. C’est une forme de citoyenneté en devenir »

 

L’avenir ne pourra pas se construire avec une pérennisation de savoirs cloisonnés figés transmis. Il ne pourra se construire que dans l’in-discipline, c’est-à-dire avec une place beaucoup plus importante au non-disciplinaire et dans l’indiscipline, c’est-à-dire la pensée divergente, l’esprit critique, la curiosité, l’intelligence et la liberté

 

Pierre Frackowiak

Co-auteur avec Philippe Meirieu de "L'éducation peut-elle être encore au cœur d'un projet de société?". Editions de l'Aube. Mai 2008. Réédition en format de poche, octobre 2009

Auteur de "Pour une école du futur. Du neuf et du courage." Préface de Philippe Meirieu. Editions La chronique sociale. Lyon. Septembre 2009

Auteur de « L’élève au cœur… ». A paraître 4ème trimestre 2010. Editions La chronique sociale. Lyon