Ecoles de l'avenir? Avenir de la société?

 

Pascal Cagni
Vice-président et Directeur Général Apple Europe, Moyen-Orient et Afrique

 

 En effet, nous, adultes, nés dans un monde en transition, simples immigrants dans le monde numérique– Digital Immigrants -, sommes invités à  nous adapter à  un monde dématérialisé, aux échanges virtualisés. Nous devons apprendre cet autre monde. Nos enfants sont de l'autre côté du miroir, ils sont nés dans ce monde digital qui est leur matrice, leur énergie. Ils n'ont pas  à s'adapter, ils ont à utiliser, à expérimenter, à nous montrer la voie.

Le grand chercheur canadien Marshall MacLuhan disait déjà dans les années 60 que le message, c'est le média et qu'en privilégiant un media plutôt qu'un autre, les sociétés structurent leurs modes de penser, de sentir ou d'agir. Les sociétés anglo-saxonnes, participatives et collaboratives, ont une approche enthousiaste des nouvelles technologies ; quand nos sociétés centralisatrices et hiérarchisées sont plus méfiantes.

Les NTIC, média par excellence, accompagnent un monde où tout va vite, s'entrecoupe, se transforme. Les envies, les attentes, les besoins des natifs de ce monde sont différents des nôtres. Ils peuvent être nos guides. Accompagnons nos enfants, ces natifs numériques - Digital Natives -, dans ce monde de tous les possibles. Dessinons, pour eux et avec eux, une Ecole à la mesure de ce défi. Donnons leur envie d'en être acteur à part entière. De prendre en main leur avenir et ainsi, d'une certaine manière, le nôtre. Il y a urgence. Le rôle de l'Ecole comme formatrice de l'avenir de nos Sociétés est la clef d'une immigration réussie vers une société de l'information et de la connaissance sereine et adaptée.

Aimer la transformation

Nombre d'entre nous avons ce sentiment que les changements vont de plus en plus vite, comme s'ils s'emballaient, sans retenue. Pourtant, ces dernières décennies ont préparé le terrain : le développement des transports nationaux, régionaux, continentaux, le développement des marchés financiers, délocalisés, à la mesure de la planète, le développement des produits culturels désormais universels et générationnels, le développement des médias audiovisuels désenclavés par les satellites ont mis en place les éléments de ce qui paraît aujourd'hui être une accélération brutale de ce mouvement.


Les NTIC ont permis de créer des transversalités nouvelles, inattendues, accélérant la roue du changement. Au départ plutôt discrètes, les technologies ont commencé à se montrer, à s'assumer, à nous emmener dans un monde où la réalité se transforme, elle aussi. Un monde où les frontières s'amenuisent : entre pays, entre famille et travail, entre commerce et culture, entre jeux et apprentissage, entre l'espace et le temps, entre économie et écologie… Dans un monde où il n'est plus besoin d'échanger du papier, ni même un coup de fil ou une conversation face à face pour communiquer, pour acheter, pour s'informer, pour apprendre, se rencontrer mme. Dans un monde o tous les talents sont sollicités, appréciés, entendus.

C'est dans ce monde-là que sont nés nos enfants. Ces natifs numériques ont grandi avec la GameBoy puis la Playstation. Puis ils se sont équipés de téléphones mobiles découvrant les joies de la tribu en toute intimité avec les SMS (messages textes), sans oublier leur exercice quotidien de Chat (discussion instantanée) sur Internet et bientôt le téléphone mobile. Aujourd'hui, ils ont adopté l'iPod, véritable phénomène générationnel qui met en musique chaque instant de la vie de nos enfants. Si l'on a parlé hier de génération GameBoy, nous sommes aujourd'hui face à la génération ipod, imprégnée de multimédia et d'interactivité.

Ces nouveaux usages marquent avec certitude le mode d'apprentissage des générations futures. Plus intuitif, plus découvreur, plus joueur, plus exigeant, ouvrant de nouveaux modes de construction des connaissances

L'Ecole… de la Société

L'école dessine la société que nous voulons. Elle a su au fil des décennies se réinventer, accompagnant les grandes évolutions sociétales. Jusqu'aux portes du XXme siècle, l'éducation était essentiellement individuelle, puis elle s'est adaptée aux besoins nouveaux, nés de la société industrielle qui demandait un enseignement de masse. La société de consommation a fait pencher à nouveau la balance de l'apprentissage en remettant l'enfant au centre, mais au milieu du groupe cette fois. On se souvient, il y a peu, du questionnement ouvert de Luc Ferry, alors Ministre de l'Education, sur la pertinence du recentrage sur l'apprenant. Peut-être ce projet manquait-il simplement des moyens techniques lui permettant de devenir réalité ?
1 92% des 12-17 ans envoient des SMS avec leurs mobiles -Source : ART/CREDOC – Nov 2003
En interrogeant à nouveau ces artistes de l'éducation que sont les enseignants, sur les modalités d'apprentissage et, plus délicat encore, leur rôle auprès des élèves, la société de l'information propose cette fois des outils d'accompagnement qui rendent possible et souhaitable ce grand projet éducatif. Ces outils sont d'abord des matériels, les ordinateurs, périphériques et l'électronique grand public, issue directement de la société de consommation mais qui se transforment en icônes de la société de l'information. Ce sont l'appareil photo ou la caméra numérique, l'assistant numérique personnel, le téléphone mobile ou plus récemment le Walkman du XXIe siècle È, l'iPod. Mais ces outils sont aussi et surtout des solutions logicielles simples, intuitives, tirant le meilleur parti des matériels et offrant au global les bases nécessaires à une construction des connaissances par l'élève. Dans l'univers Apple c'est la suite iLife2 qui est à la vie personnelle ce qu'est la suite Office à la vie professionnelle Or, nous allons le voir, tous ces outils favorisent l'apprentissage personnalisé et coopératif, centré sur l'élève, son imagination et ses talents.

La Classe Branchée

Les expériences de classes branchées, de plus en plus répandues partout à travers le monde, éclairent le chemin de l'école de demain. Ce qui les caractérise, c'est la place donne aux NTIC comme instrument pédagogique. Leur point commun est de mettre à disposition des élèves des ordinateurs accompagnés d'une famille de périphériques qui donnent vie aux travaux des enfants : ici c'est une classe de CM2 à Juvisy qui publie un livre écrit et dessiné par les enfants, là, c'est une classe de grande maternelle qui fait un film sur une sortie de classe au zoo, ailleurs ce sont des élèves qui, agglutinés autour d'un ordinateur, cherchent ensemble la solution à un problème de mathématique.

Des programmes d'envergure nationale ou régionale sont aujourd'hui bien réels dans de nombreux pays. En Europe, European Schoolnet (EUN) représente les intérêts des 26 ministres de l'éducation à travers l'Europe. L'un de ses objectifs principaux étant de promouvoir l'introduction des NTIC dans les écoles, l'EUN a mis en place un réseau d'écoles innovantes et créé les European eLearning Awards. Des programmes équivalents se trouvent aussi au Canada, en Australie, au Japon, aux Etats-Unis bien sûr, mais aussi en Afrique ou en Amérique Latine. Ils peuvent être très ambitieux et soutenus officiellement (En Belgique, par exemple, un seul projet Cyberécole a fait entrer 10.000 ordinateurs iMac dans 3000 écoles pour 300.000 élèves en une seule année) ou plus localisés, partant de la volonté d'un enseignant, d'une école, d'une commune.

2 iLife est la suite d'applications dédiées au style de vie numérique. Elle inclut iPhoto pour classer et modifier ses photos, iTunes pour organiser sa musique, iMovie pour monter ses propres séquences vidéo, iDVD pour créer ses DVD et GarageBand pour composer sa musique.

Chacune de ces expériences a nécessité de bonnes fées : des enseignants innovants, des gestionnaires volontaires, des administrations ouvertes sur l'avenir, des moyens financiers, des Ministres visionnaires et ambitieux pour leur école, et des facilitateurs-guides à la fois à l'écoute et pro-actifs. Ces facilitateurs sont les fournisseurs de contenus pédagogiques et les fournisseurs de technologies qui apportent des solutions toujours plus économiques, ergonomiques, séduisantes, utiles et éprouvées. Souvent moteurs de ces projet innovants, les sociétés privées sont les abeilles qui pollinisent les écoles, les enseignants, les élèves.
Pour mieux comprendre ce que l'on peut attendre de telles expériences, écoutons ce qu'ont à nous dire enseignants et élèves de ces classes branchées. Historiquement, le plus ambitieux des programmes de recherche appliquée dans ce domaine a été celui des Apple Classroom of Tomorrow (ACOT), lancé par Apple ds 1985, touchant 100 classes de primaires et de secondaires sur l'ensemble du territoire américain, 600 enseignants, le tout sur plus de 10 années successives. Chez Apple, l'éducation fait partie de notre ADN comme aime à le rappeler son fondateur, Steve Jobs ! Si ce programme fait aujourd'hui indéniablement référence, de nombreuses autres expériences ont heureusement vu le jour dans son sillage. Les enseignements des classes branchées sont à la fois le terreau et l'engrais des classes de demain. Ils montrent que les NTIC ne sont pas seulement des outils permettant de soutenir l'apprentissage dans toutes les disciplines. En effet, les enseignants branchés ont rapidement pris conscience que la réalité dépassait leurs espérances : les technologies permettent d'innover radicalement en matière de pédagogie enrichissant à la fois l'enseignement et l'apprentissage. Ils ont aussi compris que le temps nécessaire pour intégrer de nouvelles pratiques pédagogiques serait long et le chemin tortueux.

Les enseignants branchés

Bouleversant leurs croyances établies, les enseignants branchés ont vu leur rôle passer d'expert à celui de guide, de présentateurs traditionnels de connaissances toutes faites à facilitateurs d'apprentissage. Ce changement de rôle est majeur. Il interroge les éducateurs sur cette croyance profonde qu'ils doivent détenir le savoir et qu'ils sont jugés sur leurs capacités à le transmettre. Or devenir tuteur, mentor ou guide nécessite de donner une place différente à l'élève. De simple apprenant, il devient alternativement apprenant et expert. Dans les classes branchées, la surprise des enseignants a été de voir les élèves prendre l'initiative d'un enseignement par les pairs : Je me suis rendue compte que j'avais 30 enseignants dans ma classe ! s'étonne une enseignante de primaire. Au départ perturbés et incrédules, il a fallu un certain temps aux professeurs et aussi aux élèves pour comprendre que le travail collectif était possible. Qu'un enfant puisse en aider un autre, que se déplacer au sein de la classe au cours d'une leçon n'est pas nécessairement perturbateur …

Pour les enseignants, accepter que leurs élèves n'aient pas (toujours) besoin de leur aide pour apprendre n'est pas si simple. Mais ils se sont rapidement rendus à l'évidence que cette forme d'enseignement entraînait une participation active des apprenants, que les élèves faibles s'épanouissaient davantage, que les élèves impopulaires finissaient par gagner l'approbation des autres, et que des élèves démotivés en venaient à renoncer à la récréation pour continuer à travailler. Sans compter que ce fonctionnement coopératif rendu possible par les NTIC améliore l'apprentissage dans divers domaines : l'écriture, le raisonnement mathématique et spatial, la lecture, les langues étrangères, et qu'il favorise l'estime de soi, la reconnaissance sociale, la motivation et l'autonomie. En prenant conscience de cela, les enseignants, les gestionnaires et les parents ne voient plus d'un même œil les capacités et les talents des élèves.

Pour que l'introduction des NTIC à l'école porte ses fruits, il faut donc que les enseignants modifient leur comportement, déterminant fondamental de leurs croyances : c'est une condition essentielle du renouveau pédagogique. Le dire est facile, le faire est difficile. Changer ses croyances profondes est pour nous tous un défi. Pour aider nos enseignants à le relever, il faut créer un environnement favorable à la remise en cause des pratiques et de la pédagogie actuelles, obtenir le soutien des gestionnaires, leur donner les moyens matériels en cohérence avec le projet, adapter l'organisation de la classe, les programmes de la journée d'école et travailler en collaboration permanente avec les autres enseignants. Il faut aussi le soutien des parents. Ils doivent cesser de penser que l'école doit apprendre à leurs enfants ce que eux même y ont appris, que l'ordinateur n'est qu'un appareil ludique, et qu'éducation et jeu ne peuvent cohabiter. La technologie n'est pas une solution miracle. Elle s'insère dans ce dispositif général dont elle est l'instrument, pas l'objectif. Elle rend possible ce qui ne l'était pas encore hier.

L'école apprenante

Plus tournée vers la transmission des connaissances que vers la construction de connaissances, l'ingénierie éducative traditionnelle est interrogée par ces changements de modalités d'apprentissage. Les classes branchées, quant à elles, favorisent naturellement l'idée que les connaissances se construisent plus qu'elles ne se transmettent. En réalité, ce qu'il faut chercher c'est un équilibre approprié et harmonieux entre transmission et construction : nous sommes bien sortis de l'univers du ou pour entrer dans l'univers du et !

En effet, d'après les enseignements des classes branchées, on a tendance à privilégier la transmission pour décrire, expliquer et aider à mémoriser des concepts et des notions nouvelles. Mais, si l'on vise l'approfondissement et la compréhension, la construction devient la stratégie de choix. Elle aide les apprenants à personnaliser et intérioriser les idées, à s'approprier les savoir-faire ou les concepts nouveaux, à explorer ou à produire des idées, ainsi qu'à généraliser ou synthétiser des connaissances (cf. tableau ci-après.) La construction des connaissances ouvrirait donc la voie à une école apprenante, capable de s'adapter sans heurts aux changements.


Source : La Classe Branchée, Centre National de Documentation Pédagogique

Il ne s'agit donc pas de jeter aux orties les pédagogies actuelles, mais de faire la place à d'autres modes d'apprentissage, rendus possibles par de nouveaux outils, permettant tout à la fois de personnaliser l'enseignement et de préparer nos enfants à l'avenir, à notre avenir.

Ecole d'avenir pour la société de demain

Nous l'avons déjà dit : une société crée l'éducation qui lui ressemble, celle qui lui convient. Mettre l'emphase sur l'école montre combien l'éducation est importante dans la préparation des générations futures. Les Classes Branchées le démontrent : la réussite de l'école de demain ne dépend pas de la seule responsabilité des enseignants. Elle dépend aussi de nous, immigrants du monde digital. En effet, Etats, administrations, enseignants, parents, enfants et société civile sommes co-responsables. Prenons conscience de cette co-responsabilité et agissons ensemble. Ces technologies, on les a aimées, on les a maudites. Il serait temps de leur donner la place qui leur revient : celle d'un agent de changement, un allié formidable, puissant, sans être tout puissant.

Il ne suffit pas de connecter les écoles pour faire un usage opportun de la technologie et ce n'est pas la technologie qui changera l'éducation : c'est l'utilisation que l'on en fait qui est importante. Mettons en cohérence les grandes déclarations politiques et les moyens qui les accompagnent ; prenons le temps d'expliquer aux immigrants du monde digital (parents et enseignants) que les natifs numériques ont des besoins différents d'éducation et d'apprentissage ; expliquons aux enseignants les bénéfices qu'ils ont à devenir aussi des guides ; acceptons que les entreprises de nouvelles technologies et de (nouveaux !) contenus sont des alliés indispensables : il faut que toutes les classes de nos enfants soient désormais branchées pour produire de nouvelles connections qui pourraient être le salut d'une école qui n'en finit plus de s'interroger.

 

Nos Sociétés changent, se transforment, s'adaptent. Elles sont vivantes, ouvertes. Elles se montrent de plus en plus avides de nouveautés… mais aussi inquiètes et résistantes, interrogatives sur le sens de ces changements, et conscientes qu'ils peuvent évoquer des choses bien différentes pour les uns et les autres. Je m'interroge ici en tant que professionnel des nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC), parent et citoyen sur la capacité de notre Ecole ˆ enrichir son enseignement. Celui ci est aujourd'hui orienté vers la transmission des connaissances mais il est souhaitable d'y ajouter la dose nécessaire d'enseignement par la construction des connaissances, indispensable pour inventer chaque jour notre Société de demain.

Nos Sociétés changent, se transforment, s'adaptent. Elles sont vivantes, ouvertes. Elles se montrent de plus en plus avides de nouveautés… mais aussi inquiètes et résistantes, interrogatives sur le sens de ces changements, et conscientes qu'ils peuvent évoquer des choses bien différentes pour les uns et les autres. Je m'interroge ici en tant que professionnel des nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC), parent et citoyen sur la capacité de notre Ecole ˆ enrichir son enseignement. Celui ci est aujourd'hui orienté vers la transmission des connaissances mais il est souhaitable d'y ajouter la dose nécessaire d'enseignement par la construction des connaissances, indispensable pour inventer chaque jour notre Société de demain.

En effet, nous, adultes, nés dans un monde en transition, simples immigrants dans le monde numérique– Digital Immigrants -, sommes invités à  nous adapter à  un monde dématérialisé, aux échanges virtualisés. Nous devons apprendre cet autre monde. Nos enfants sont de l'autre côté du miroir, ils sont nés dans ce monde digital qui est leur matrice, leur énergie. Ils n'ont pas  à s'adapter, ils ont à utiliser, à expérimenter, à nous montrer la voie.

Le grand chercheur canadien Marshall MacLuhan disait déjà dans les années 60 que le message, c'est le média et qu'en privilégiant un media plutôt qu'un autre, les sociétés structurent leurs modes de penser, de sentir ou d'agir. Les sociétés anglo-saxonnes, participatives et collaboratives, ont une approche enthousiaste des nouvelles technologies ; quand nos sociétés centralisatrices et hiérarchisées sont plus méfiantes.

Les NTIC, média par excellence, accompagnent un monde où tout va vite, s'entrecoupe, se transforme. Les envies, les attentes, les besoins des natifs de ce monde sont différents des nôtres. Ils peuvent être nos guides. Accompagnons nos enfants, ces natifs numériques - Digital Natives -, dans ce monde de tous les possibles. Dessinons, pour eux et avec eux, une Ecole à la mesure de ce défi. Donnons leur envie d'en être acteur à part entière. De prendre en main leur avenir et ainsi, d'une certaine manière, le nôtre. Il y a urgence. Le rôle de l'Ecole comme formatrice de l'avenir de nos Sociétés est la clef d'une immigration réussie vers une société de l'information et de la connaissance sereine et adaptée.

Aimer la transformation

Nombre d'entre nous avons ce sentiment que les changements vont de plus en plus vite, comme s'ils s'emballaient, sans retenue. Pourtant, ces dernières décennies ont préparé le terrain : le développement des transports nationaux, régionaux, continentaux, le développement des marchés financiers, délocalisés, à la mesure de la planète, le développement des produits culturels désormais universels et générationnels, le développement des médias audiovisuels désenclavés par les satellites ont mis en place les éléments de ce qui paraît aujourd'hui être une accélération brutale de ce mouvement.


Les NTIC ont permis de créer des transversalités nouvelles, inattendues, accélérant la roue du changement. Au départ plutôt discrètes, les technologies ont commencé à se montrer, à s'assumer, à nous emmener dans un monde où la réalité se transforme, elle aussi. Un monde où les frontières s'amenuisent : entre pays, entre famille et travail, entre commerce et culture, entre jeux et apprentissage, entre l'espace et le temps, entre économie et écologie… Dans un monde où il n'est plus besoin d'échanger du papier, ni même un coup de fil ou une conversation face à face pour communiquer, pour acheter, pour s'informer, pour apprendre, se rencontrer mme. Dans un monde o tous les talents sont sollicités, appréciés, entendus.

C'est dans ce monde-là que sont nés nos enfants. Ces natifs numériques ont grandi avec la GameBoy puis la Playstation. Puis ils se sont équipés de téléphones mobiles découvrant les joies de la tribu en toute intimité avec les SMS (messages textes), sans oublier leur exercice quotidien de Chat (discussion instantanée) sur Internet et bientôt le téléphone mobile. Aujourd'hui, ils ont adopté l'iPod, véritable phénomène générationnel qui met en musique chaque instant de la vie de nos enfants. Si l'on a parlé hier de génération GameBoy, nous sommes aujourd'hui face à la génération ipod, imprégnée de multimédia et d'interactivité.

Ces nouveaux usages marquent avec certitude le mode d'apprentissage des générations futures. Plus intuitif, plus découvreur, plus joueur, plus exigeant, ouvrant de nouveaux modes de construction des connaissances

L'Ecole… de la Société

L'école dessine la société que nous voulons. Elle a su au fil des décennies se réinventer, accompagnant les grandes évolutions sociétales. Jusqu'aux portes du XXme siècle, l'éducation était essentiellement individuelle, puis elle s'est adaptée aux besoins nouveaux, nés de la société industrielle qui demandait un enseignement de masse. La société de consommation a fait pencher à nouveau la balance de l'apprentissage en remettant l'enfant au centre, mais au milieu du groupe cette fois. On se souvient, il y a peu, du questionnement ouvert de Luc Ferry, alors Ministre de l'Education, sur la pertinence du recentrage sur l'apprenant. Peut-être ce projet manquait-il simplement des moyens techniques lui permettant de devenir réalité ?
1 92% des 12-17 ans envoient des SMS avec leurs mobiles -Source : ART/CREDOC – Nov 2003
En interrogeant à nouveau ces artistes de l'éducation que sont les enseignants, sur les modalités d'apprentissage et, plus délicat encore, leur rôle auprès des élèves, la société de l'information propose cette fois des outils d'accompagnement qui rendent possible et souhaitable ce grand projet éducatif. Ces outils sont d'abord des matériels, les ordinateurs, périphériques et l'électronique grand public, issue directement de la société de consommation mais qui se transforment en icônes de la société de l'information. Ce sont l'appareil photo ou la caméra numérique, l'assistant numérique personnel, le téléphone mobile ou plus récemment le Walkman du XXIe siècle È, l'iPod. Mais ces outils sont aussi et surtout des solutions logicielles simples, intuitives, tirant le meilleur parti des matériels et offrant au global les bases nécessaires à une construction des connaissances par l'élève. Dans l'univers Apple c'est la suite iLife2 qui est à la vie personnelle ce qu'est la suite Office à la vie professionnelle Or, nous allons le voir, tous ces outils favorisent l'apprentissage personnalisé et coopératif, centré sur l'élève, son imagination et ses talents.

La Classe Branchée

Les expériences de classes branchées, de plus en plus répandues partout à travers le monde, éclairent le chemin de l'école de demain. Ce qui les caractérise, c'est la place donne aux NTIC comme instrument pédagogique. Leur point commun est de mettre à disposition des élèves des ordinateurs accompagnés d'une famille de périphériques qui donnent vie aux travaux des enfants : ici c'est une classe de CM2 à Juvisy qui publie un livre écrit et dessiné par les enfants, là, c'est une classe de grande maternelle qui fait un film sur une sortie de classe au zoo, ailleurs ce sont des élèves qui, agglutinés autour d'un ordinateur, cherchent ensemble la solution à un problème de mathématique.

Des programmes d'envergure nationale ou régionale sont aujourd'hui bien réels dans de nombreux pays. En Europe, European Schoolnet (EUN) représente les intérêts des 26 ministres de l'éducation à travers l'Europe. L'un de ses objectifs principaux étant de promouvoir l'introduction des NTIC dans les écoles, l'EUN a mis en place un réseau d'écoles innovantes et créé les European eLearning Awards. Des programmes équivalents se trouvent aussi au Canada, en Australie, au Japon, aux Etats-Unis bien sûr, mais aussi en Afrique ou en Amérique Latine. Ils peuvent être très ambitieux et soutenus officiellement (En Belgique, par exemple, un seul projet Cyberécole a fait entrer 10.000 ordinateurs iMac dans 3000 écoles pour 300.000 élèves en une seule année) ou plus localisés, partant de la volonté d'un enseignant, d'une école, d'une commune.

2 iLife est la suite d'applications dédiées au style de vie numérique. Elle inclut iPhoto pour classer et modifier ses photos, iTunes pour organiser sa musique, iMovie pour monter ses propres séquences vidéo, iDVD pour créer ses DVD et GarageBand pour composer sa musique.

Chacune de ces expériences a nécessité de bonnes fées : des enseignants innovants, des gestionnaires volontaires, des administrations ouvertes sur l'avenir, des moyens financiers, des Ministres visionnaires et ambitieux pour leur école, et des facilitateurs-guides à la fois à l'écoute et pro-actifs. Ces facilitateurs sont les fournisseurs de contenus pédagogiques et les fournisseurs de technologies qui apportent des solutions toujours plus économiques, ergonomiques, séduisantes, utiles et éprouvées. Souvent moteurs de ces projet innovants, les sociétés privées sont les abeilles qui pollinisent les écoles, les enseignants, les élèves.
Pour mieux comprendre ce que l'on peut attendre de telles expériences, écoutons ce qu'ont à nous dire enseignants et élèves de ces classes branchées. Historiquement, le plus ambitieux des programmes de recherche appliquée dans ce domaine a été celui des Apple Classroom of Tomorrow (ACOT), lancé par Apple ds 1985, touchant 100 classes de primaires et de secondaires sur l'ensemble du territoire américain, 600 enseignants, le tout sur plus de 10 années successives. Chez Apple, l'éducation fait partie de notre ADN comme aime à le rappeler son fondateur, Steve Jobs ! Si ce programme fait aujourd'hui indéniablement référence, de nombreuses autres expériences ont heureusement vu le jour dans son sillage. Les enseignements des classes branchées sont à la fois le terreau et l'engrais des classes de demain. Ils montrent que les NTIC ne sont pas seulement des outils permettant de soutenir l'apprentissage dans toutes les disciplines. En effet, les enseignants branchés ont rapidement pris conscience que la réalité dépassait leurs espérances : les technologies permettent d'innover radicalement en matière de pédagogie enrichissant à la fois l'enseignement et l'apprentissage. Ils ont aussi compris que le temps nécessaire pour intégrer de nouvelles pratiques pédagogiques serait long et le chemin tortueux.

Les enseignants branchés

Bouleversant leurs croyances établies, les enseignants branchés ont vu leur rôle passer d'expert à celui de guide, de présentateurs traditionnels de connaissances toutes faites à facilitateurs d'apprentissage. Ce changement de rôle est majeur. Il interroge les éducateurs sur cette croyance profonde qu'ils doivent détenir le savoir et qu'ils sont jugés sur leurs capacités à le transmettre. Or devenir tuteur, mentor ou guide nécessite de donner une place différente à l'élève. De simple apprenant, il devient alternativement apprenant et expert. Dans les classes branchées, la surprise des enseignants a été de voir les élèves prendre l'initiative d'un enseignement par les pairs : Je me suis rendue compte que j'avais 30 enseignants dans ma classe ! s'étonne une enseignante de primaire. Au départ perturbés et incrédules, il a fallu un certain temps aux professeurs et aussi aux élèves pour comprendre que le travail collectif était possible. Qu'un enfant puisse en aider un autre, que se déplacer au sein de la classe au cours d'une leçon n'est pas nécessairement perturbateur …

Pour les enseignants, accepter que leurs élèves n'aient pas (toujours) besoin de leur aide pour apprendre n'est pas si simple. Mais ils se sont rapidement rendus à l'évidence que cette forme d'enseignement entraînait une participation active des apprenants, que les élèves faibles s'épanouissaient davantage, que les élèves impopulaires finissaient par gagner l'approbation des autres, et que des élèves démotivés en venaient à renoncer à la récréation pour continuer à travailler. Sans compter que ce fonctionnement coopératif rendu possible par les NTIC améliore l'apprentissage dans divers domaines : l'écriture, le raisonnement mathématique et spatial, la lecture, les langues étrangères, et qu'il favorise l'estime de soi, la reconnaissance sociale, la motivation et l'autonomie. En prenant conscience de cela, les enseignants, les gestionnaires et les parents ne voient plus d'un même œil les capacités et les talents des élèves.

Pour que l'introduction des NTIC à l'école porte ses fruits, il faut donc que les enseignants modifient leur comportement, déterminant fondamental de leurs croyances : c'est une condition essentielle du renouveau pédagogique. Le dire est facile, le faire est difficile. Changer ses croyances profondes est pour nous tous un défi. Pour aider nos enseignants à le relever, il faut créer un environnement favorable à la remise en cause des pratiques et de la pédagogie actuelles, obtenir le soutien des gestionnaires, leur donner les moyens matériels en cohérence avec le projet, adapter l'organisation de la classe, les programmes de la journée d'école et travailler en collaboration permanente avec les autres enseignants. Il faut aussi le soutien des parents. Ils doivent cesser de penser que l'école doit apprendre à leurs enfants ce que eux même y ont appris, que l'ordinateur n'est qu'un appareil ludique, et qu'éducation et jeu ne peuvent cohabiter. La technologie n'est pas une solution miracle. Elle s'insère dans ce dispositif général dont elle est l'instrument, pas l'objectif. Elle rend possible ce qui ne l'était pas encore hier.

L'école apprenante

Plus tournée vers la transmission des connaissances que vers la construction de connaissances, l'ingénierie éducative traditionnelle est interrogée par ces changements de modalités d'apprentissage. Les classes branchées, quant à elles, favorisent naturellement l'idée que les connaissances se construisent plus qu'elles ne se transmettent. En réalité, ce qu'il faut chercher c'est un équilibre approprié et harmonieux entre transmission et construction : nous sommes bien sortis de l'univers du ou pour entrer dans l'univers du et !

En effet, d'après les enseignements des classes branchées, on a tendance à privilégier la transmission pour décrire, expliquer et aider à mémoriser des concepts et des notions nouvelles. Mais, si l'on vise l'approfondissement et la compréhension, la construction devient la stratégie de choix. Elle aide les apprenants à personnaliser et intérioriser les idées, à s'approprier les savoir-faire ou les concepts nouveaux, à explorer ou à produire des idées, ainsi qu'à généraliser ou synthétiser des connaissances (cf. tableau ci-après.) La construction des connaissances ouvrirait donc la voie à une école apprenante, capable de s'adapter sans heurts aux changements.


Source : La Classe Branchée, Centre National de Documentation Pédagogique

Il ne s'agit donc pas de jeter aux orties les pédagogies actuelles, mais de faire la place à d'autres modes d'apprentissage, rendus possibles par de nouveaux outils, permettant tout à la fois de personnaliser l'enseignement et de préparer nos enfants à l'avenir, à notre avenir.

Ecole d'avenir pour la société de demain

Nous l'avons déjà dit : une société crée l'éducation qui lui ressemble, celle qui lui convient. Mettre l'emphase sur l'école montre combien l'éducation est importante dans la préparation des générations futures. Les Classes Branchées le démontrent : la réussite de l'école de demain ne dépend pas de la seule responsabilité des enseignants. Elle dépend aussi de nous, immigrants du monde digital. En effet, Etats, administrations, enseignants, parents, enfants et société civile sommes co-responsables. Prenons conscience de cette co-responsabilité et agissons ensemble. Ces technologies, on les a aimées, on les a maudites. Il serait temps de leur donner la place qui leur revient : celle d'un agent de changement, un allié formidable, puissant, sans être tout puissant.

Il ne suffit pas de connecter les écoles pour faire un usage opportun de la technologie et ce n'est pas la technologie qui changera l'éducation : c'est l'utilisation que l'on en fait qui est importante. Mettons en cohérence les grandes déclarations politiques et les moyens qui les accompagnent ; prenons le temps d'expliquer aux immigrants du monde digital (parents et enseignants) que les natifs numériques ont des besoins différents d'éducation et d'apprentissage ; expliquons aux enseignants les bénéfices qu'ils ont à devenir aussi des guides ; acceptons que les entreprises de nouvelles technologies et de (nouveaux !) contenus sont des alliés indispensables : il faut que toutes les classes de nos enfants soient désormais branchées pour produire de nouvelles connections qui pourraient être le salut d'une école qui n'en finit plus de s'interroger.