Réforme et histoire

"Cher(e)s Collègues,

 

Je viens d'apprendre que le Ministre de l'Éducation Nationale, M. Luc Chatel, a décidé de supprimer l'Histoire et la Géographie comme matières obligatoires en Terminale Scientifique. Il se propose néanmoins de les maintenir dans un cadre optionnel. Cette nouvelle m'a laissé anéanti et scandalisé.

 

On peut comprendre, au vu de ce qu'est un lycéen aujourd'hui, et plus particulièrement dans une section scientifique avec une spécialisation renforcée par la réforme, qu'une telle décision va aboutir à la suppression totale de cet enseignement. Très peu nombreux seront les élèves qui prendront une telle option. Nous ne devons donc nourrir aucune illusion. Le caractère démagogique de la mesure est évident dans la mesure où il fait reposer sur les élèves la décision de prendre ou de ne pas prendre les cours d'Histoire et Géographie à un moment où la spécialisation de la filière vient d'être réaffirmée.

 

Notons, par ailleurs, que ceci introduit un hiatus avec la classe de Première ou l'enseignement d'Histoire et de Géographie est dans le tronc commun. Ainsi, les élèves de la Terminale Scientifique, soit ne verront pas ce que leurs homologues des Terminale ES et L verront (le monde contemporain en particulier), soit devraient avoir un enseignement spécifique en classe de Première combinant le programme de Première et de Terminale, mais ce qui irait à l'inverse de la notion de tronc commun ! En fait, la réforme obligerait à spécifier à nouveau les enseignements pour les « futurs élèves de Terminale Scientifique » et ce avant que leur orientation définitive ne soit faite.

 

Alors que, aujourd'hui, plus de 50% des élèves qui passent un bac «généraliste » ont choisi la Terminale Scientifique, ceci revient à enlever l'enseignement d'Histoire et Géographie à cette même proportion. Quand bien même on arriverait dans le cours de la réforme à faire baisser ce nombre vers le 35%, ceci resterait absolument inacceptable. L'argument selon lequel cette réforme voudrait réserver la section Scientifique aux seuls élèves se destinant à des carrières de ce type est doublement irrecevable.

 

Il l'est d'abord sur le principe. Dans la formation du citoyen, ces disciplines ont un rôle absolument fondamental. La compréhension du monde contemporain, de ses crises économiques ou géostratégiques, des rapports de force qui se nouent et se dénouent en permanence entre les nations, implique la maîtrise de l'Histoire et de la Géographie. Est-ce à dire que, pour le Ministère de l'Éducation Nationale, les élèves des Terminales Scientifiques sont appelés à être des citoyens de seconde zone ? Est-ce à dire que l'on n'attend plus d'un mathématicien ou d'un physicien qu'il soit aussi un citoyen ?

 

Il l'est ensuite dans la réalité. La Terminale Scientifique ne prépare pas qu'aux métiers de la science (qui entre nous soit dit ne se réduit pas aux Mathématiques ou à la Physique, loin de là). Cette filière prépare aussi aux écoles de commerce et de gestion, aux formations qui combinent les Mathématiques et la Géographie et qui sont devenues très importantes avec la décentralisation, et à bien d'autres encore. Dans toutes ces formations, on demande des connaissances en Histoire et en Géographie. L'idée d'une section Scientifique où l'on ne trouverait que de « purs » scientifiques est une illusion. C'est par ailleurs un fantasme dangereux que de croire en la « pureté » d'une telle formation par l'exclusion de disciplines aussi essentielles que l'Histoire et la Géographie.

 

Si, comme moi, vous trouvez que cet aspect de la réforme est une totale aberration, je vous demande de faire circuler l'information et de protester auprès du Ministère sous les formes qui vous paraîtront adéquates. Il faut arrêter cette mesure avant qu'il ne soit trop tard, et pour cela susciter le mouvement de protestation le plus important et le plus large possible.

 

Le Ministère doit impérativement réintégrer l'Histoire et la Géographie parmi les matières obligatoires en Terminale Scientifique !

 

Jacques SAPIR

Directeur d'Études (économie) à l'EHESS / Professor (economics) at EHESS-Paris http://www.ehess.fr/centres/cemi/