Service public d'éducation

Pierre Frackowiak

Je laisserai aux juristes, aux historiens, aux spécialistes, aux experts le soin de définir la notion de service public sous tous ses aspects théoriques, formels, académiques... Je ne me hasarderai pas à comparer la notion de service public d'éducation et celle d'institution. J'aurais peur de n'en rester qu'aux mots et aux principes.

 

De plus, je n'aime pas trop les définitions.

Elles n'ont d'intérêt que lorsqu'elles surgissent presque naturellement au terme d'une action, d'une activité longue et qu'elles sont ajustées par le développement de cette activité qui implique complètement les acteurs. C'est comme à l'école : les définitions de grammaire considérées comme des préalables imposés n'ont aucun intérêt, on peut les connaître par cœur et réussir tous les exercices « bled » et les évaluations, et être incapable de parler, d'écrire, d'exprimer une pensée ou une émotion, elles ne sont utiles que lorsque l'on a beaucoup agi, qu'on les a découvertes et construites et qu'elles peuvent aider alors à une plus grande maîtrise du langage.


Donc, pour moi, la notion de service public en général est fondée sur la place du citoyen et pas sur les mots, sur ses possibilités réelles d'action, d'exercice de parcelles de responsabilité, de rapport aux autres.

Elle illustre une conception de l'homme, personne, individu qui se développe et s'épanouit, mais en même temps, et sans opposer l'un à l'autre, être social produisant de l'intelligence collective et de la fraternité.

 

Le service public d'éducation se caractérise alors par le respect :

 

Respect des élèves d'abord : laïcité, prise en compte de leurs savoirs et de leurs talents même quand ils ont été acquis ou construits hors de l'école et des ses programmes (ce qui est de plus en plus important), pari sur leur éducabilité, égalité des droits et des « possibles » plutôt qu'égalité des chances, évaluation positive (pointage de ce qu'ils réussissent plutôt que le cercle infernal repérage forcené des carences/ remédiation illusoire, stupide courbe de Gauss, stigmatisation et encore trop souvent humiliation génératrice de violence), réciprocité (Simon, élève de 5ème, me dit : « C'est curieux, tel prof ne s'excuse pas quand il est en retard, il ne dit pas bonjour, il exige qu'un devoir soit rendu demain mais ne le rend corrigé que 6 semaines après...)

 

Respect des parents : citoyens, porteurs de savoirs, professionnels compétents dans leur domaine et dans d'autres... pas seulement « parendélève » convoqué exclusivement quand leur enfant est en difficulté, pour recevoir conseils et recommandations parfois péremptoires alors que les enseignants eux-mêmes ne trouvent pas toujours les solutions aux problèmes de leurs propres enfants. Les conseils de classe introduits par des jugements globaux négatifs méritent par exemple une sérieuse réflexion...

 

Respect des professeurs et de tous les acteurs de l'éducation (ATSEM, ATOS, éducateurs de la petite enfance, animateurs socioculturels, assistantes sociales, etc) dont les métiers deviennent de plus en plus complexes et difficiles. Beaucoup de professeurs sont en souffrance face à des élèves qui ne comprennent pas le sens des savoirs scolaires et qui n'ont déjà plus d'espoir

 

En bref : respect des usagers et des acteurs.

Cela s'applique à tous les services publics. Par exemple à la santé : respect des patients et des malades, respect de tous les personnels, pratiques humaines des médecins, etc. Cela s'applique encore infiniment plus au service public d'éducation qui contribue à la construction de la société du futur.


Sans doute serait-il sage d'ajouter le respect des valeurs fondamentales et la cohérence entre les discours et les actes. Il faudrait alors ouvrir la réflexion sur la gouvernance des services publics et des institutions, sur la nécessaire réinvention de la démocratie.

 

Pour conclure sans avoir défini et sans conclure : peut-on vraiment parler de service public si l'on en reste aux mots, aux lois, aux chiffres oubliant la place réelle et pas seulement formelle de l'humain ?


Le 10 mars 2010

Pierre Frackowiak

Co-auteur avec Philippe Meirieu de "L'éducation peut-elle être encore au cœur d'un projet de société?". Editions de l'Aube. Mai 2008. Réédition en format de poche, octobre 2009