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Enseigner aujourd'hui?

 

 

Joël De Rosnay.
Président exécutif de Biotic International et Conseiller du Président de la Cité des Sciences et de l'Industrie
Pour en savoir plus :
Site Web : http://www.cite-sciences.fr/derosnay/

 

 

Enseigner aujourd'hui, c'est la question.

 

L'enseignement est mis en cause, par plusieurs faits que je vais essayer de décrire. Et je vais aussi essayer d'apporter quelques propositions sur lesquelles nous pourrons discuter ensuite.

Enseigner, pour vous tous, cela signifie des choses différentes. Chacun a une définition, une approche personnelle.
Pour moi, ce sont trois grandes choses liées: c'est transmettre des connaissances et des savoir-faire en aidant à les intégrer dans une culture du monde qui bouge, c'est aider à rendre ces connaissances et ces savoir-faire opérationnels de manière à pouvoir agir sur le monde et mesurer les résultats de son action (être capable d'évaluer);c'est enfin donner du sens à son action et donc donner du sens à sa vie.
Voilà pour moi, les trois grands fondements de l'éducation.

Pourquoi « aujourd'hui » avec un point d'interrogation?
C'est parce cela devient difficile, délicat. La fonction d'enseignant, le métier, l'enseignement en général au sens très large, depuis les petites classes jusqu'à l'université, sont mis en cause par plusieurs facteurs, qui sont les nouvelles contraintes du monde dans lequel nous vivons aujourd'hui : des contraintes temporelles : le conflit entre le temps réel de la télévision et du monde qui va de plus en plus vite, et celui du temps de l'école, le conflit avec l'autorité, le règlement, l'obligation, la règle, à une époque où les valeurs maintenues par plusieurs piliers (dont les valeurs de la famille qui soutenait un certain nombre de principes d'éducation) sont en train de s'estomper, donc crise de l'autorité, les contraintes également de la complexité, d'un monde de plus en plus complexe face auquel il faut faire des choix pour savoir quoi enseigner et comment enseigner.

Je vais essayer de développer 5 points principaux :

Les enjeux et les contraintes de l'enseignement aujourd'hui, puis l'adaptation de notre enseignement, de l'école, des lieux de formation, en troisième point, les méthodes et des contenus. Le quatrième point que je voudrais développer, c'est celui qui concerne maintenant ce que j'appellerai un « système pédagogique » et enfin, je vous donnerai mon point de vue sur ce que, pour moi, enseigner veut dire.


Tout d'abord, Les enjeux et les contraintes de l'enseignement aujourd'hui :
Ces enjeux, je les résume en 3 grands points:
Le temps, l'espace, et l'autorité.

D'abord le temps.

 

Pourquoi est ce que je mets le temps comme une des contraintes fondamentales, et peut être une des causes de ce qu'on pourrait appeler la crise de l'enseignement aujourd'hui?

Les jeunes et nous, nous vivons des relations différentes au temps.
La télévision mondiale a créé la notion de temps réel, d'instantanéité des évènements. Internet donne aussi ce sentiment d'ubiquité. On vit face à deux temps constamment en interdépendance l'un par rapport à l'autre, auquel les jeunes sont habitués. L'un ils l'acceptent mieux que l'autre, et ils commencent progressivement à rejeter le second.
De quoi s'agit-il? Il s'agit du « temps long » et du « temps court »
Le « temps long », la durée, c'est celle de la formation, c'est celle de l'école, du cycle, du programme obligatoire, nous rentrons par un bout et nous sortons à un autre bout... et ce « temps long » est séquentiel, c'est à dire que, comme notre vie, il est organisé par les heures, les jours, les semaines, les mois, les vacances, la carrière, la retraite... Tout est séquentiel, et nous sommes synchronisés par la société, et nous sommes obligés de nous couler dans ce moule du temps. Et quand on veut faire quelque chose de différent « on n'a pas le temps », parce qu'il faut trouver le temps dans les séquences, et donc en éliminer ou en écarter certaines, et cela demande un effort de choix fondamental que beaucoup de gens ne savent pas ou ne peuvent pas faire.

Le temps des évènements, des instants juxtaposés
Comme ce temps est contraignant, beaucoup, et surtout les jeunes, se réfugient dans un autre temps que j'appellerai le « temps court », c'est-à-dire le temps des évènements, des instants juxtaposés, à la queue leu leu les uns derrière les autres qui se remplacent en permanence : une sorte de hit parade du temps, auquel d'ailleurs répondent très très bien les jeux vidéo, le surf sur Internet, la télécommande et le zapping à la télévision, les flashes de nouvelles, les spots de publicité, les clips de musique...
Tous ces mots courts sont tout à fait dans la logique de ce « temps court » dont on se grise et qui est une sorte de drogue miniature, il s'agit non pas de gérer le temps mais de faire le plus de choses possibles dans la diversité. Et je pense que la télécommande, le zapping, et le replay, le magnétoscope, les jeux vidéo ont changé la culture des jeunes face au temps et donc créé un conflit avec l'école. La relation au temps est complètement différente d'avant, dans la mesure ou par le zapping on peut changer de vie ou changer de plaisir. On n'aime pas cette émission, alors clac! on appuie sur le bouton, on change. Cette notion est très ancrée chez les jeunes qu'on forme.

On ne peut pas zapper le programme

On ne peut pas zapper l'école.

On ne peut pas zapper le programme, on est là pendant 1 heure ou 2, il y a la semaine, le cahier de textes, les devoirs, on ne peut pas appuyer sur un bouton et changer. Ce n'est pas possible. Et ça, ça crée une véritable tension.
Deuxièmement, pour eux, un événement n'est pas vraiment réel si on ne peut pas le « replay », le revoir. L'accident de voiture, l'avion qui s'écrase... cet homme va mourir sous vos yeux son parachute ne s'est pas ouvert, le but qu'on va marquer il faut le revoir..... Le replay a crée une notion de réversibilité qui entre en conflit avec la non réversibilité de la formation de la classe; on ne peut pas revenir en arrière, c'est la filière, on a choisi : d'où la difficulté des choix, et le fait que beaucoup de jeunes ne veulent pas choisir, ou ne veulent pas chercher à choisir, et se confinent dans une espèce de situation non pas de confort mais en tout cas de difficulté de choisir la filière, parce qu'ils sentent que c'est irréversible.

« Temps long » « temps court » et le « temps large »


Ces notions de temps sont importantes. Il faut leur apprendre ce que j'appelle, par rapport au « temps long » et au « temps court », le « temps large », c'est à dire un temps qui, lui, s'empile l'un sur l'autre, du temps parallèle, savoir s'organiser pour créer ce que j'appellerai un capital-temps, avec une bonne bibliothèque, une bonne utilisation d'Internet, un bon réseau de copains, un bon réseau de profs, un réseau de voyages, la possibilité de créer un capital-temps qui va générer des intérêts temporels c'est à dire du temps qu'on peut replacer, réinvestir d'une manière beaucoup plus souple que les séquences qui était évoquées tout à l'heure.

L'espace a changé aussi pour les élèves.

Mac Luhan l'a très bien expliqué dès les années 60. Il disait à peu près ceci: les enfants vont brûler les écoles, il y aura de la violence dans les classes, parce qu'ils ne pourront plus supporter l'autorité, parce que l'environnement dans lequel ils sont confrontés à l'acquisition des connaissances change complètement.
L'environnement de la classe était riche, au sens varié, il y avait des cartes de géographie, des squelettes, des grenouilles dans des bocaux, des photos, du film et de l'audiovisuel dans les premiers stades. Au contraire l'environnement extérieur, la rue, était pauvre, avec pas beaucoup de publicité, pas beaucoup de devantures de magasins attrayantes, pas d'Internet, pas de télévision avec 100 chaînes, pas de Loft story en temps réel...
On peut constater aujourd'hui que ça s'est inversé : l'environnement de la rue ou du monde dans lequel vivent les jeunes est très riche, très solliciteur, il y a beaucoup de choses à voir depuis les panneaux publicitaires jusqu'aux affiches de cinéma sans parler d'Internet, du multimédia, du chat, du SMS, du téléphone portable et compagnie, alors que l'environnement scolaire même s'il a énormément progressé ( nous avons tous essayé, chacun d'entre nous de le faire progresser à notre manière) est resté plus pauvre.
Donc il y a un décalage entre les espaces dans lesquels ils vivent et les espaces dans lesquels ils apprennent. Certains disent « on va les faire apprendre plus à la maison en leur donnant les moyens de multimédia, d'Internet, de DVD,... » Ce n'est pas une solution, nous en parlerons plus loin..

Complexité et l'autorité

La troisième contrainte de ces nouveaux enjeux c'est la complexité et l'autorité.
La crise de l'autorité se manifeste par la non volonté de reconnaissance de quelqu'un qui a la règle sur vous, peut vous contraindre par la punition, l'école, les devoirs etc., d'une manière que la famille ne répond plus. Il y a une sorte d'échappement de la famille vis à vis de certaines contraintes qu'on trouve dans l'école, et que beaucoup ne peuvent pas accepter parce qu'il n'y a pas, derrière, les valeurs qui s'attachent à ces contraintes partagées.

La complexité enfin, parce que dans un monde interdépendant où tout réagit sur tout en permanence, les matières qu'on enseigne semblent dissociées du réel, qu'il s'agisse de géographie, d'histoire, de mathématiques, de physique, de chimie, de biologie, de sciences sociales... on n'a pas l'impression qu'elles sont connectées entre elles. Alors que le monde dans lequel on vit donne au contraire cette impression d'interdépendance permanente, de l'écologie à l'énergie, de l'énergie à la biologie, de la biologie à l'informatique, de l'informatique aux sciences sociales. Quand on nous parle de la retraite et du vieillissement on parle à la fois d'un problème social, d'un problème économique et d'un problème biologique. (Le fait que les gens vivent aujourd'hui plus vieux dans une même qualité de vie) Donc tout est interdépendant et on enseigne pourtant des morceaux séparés, une mosaïque du monde.

Que peut-on faire pour adapter notre enseignement, l'école, les lieux de formation?

L'école et le professeur.

 

Je ne suis pas de ceux qui pensent qu'il faille truffer l'école de nouvelles technologies et que les TIC, comme on l'a cru pendant longtemps, vont chaque fois apporter un « plus » significatif, comme un coup de baguette magique qui permet d'apprendre mieux et plus vite.

Le lieu d'apprentissage, l'école, doit être un lieu où on exerce son raisonnement, sa logique : on fait marcher son cerveau, on s'ouvre ou non aux autres, donc on apprend ou non la tolérance, on apprend ou non la socialisation. C'est un lieu de coéducation, on peut apprendre par les profs, on peut apprendre par les autres, à condition de donner pour recevoir.


Donc le lieu physique est essentiel à mes yeux et je ne vois pas du tout les élèves en « stabulation libre » devant un ordinateur en train de pianoter avec un prof de temps en temps, qui regarde ce qu'ils font, et qui essaie d'apprendre par les élèves parce qu'ils sont quelquefois plus avancés que lui. Je ne vois pas ça du tout.
Je vois la classe comme un lieu unique de relations humaines, qui va se doter, s'enrichir de technologie selon les cas et selon les moyens. La classe du futur, pour moi, ce n'est pas la classe « hight tech » avec des ordinateurs partout et des accès à Internet. Même si on en a besoin pour certaines choses.

Les professeurs :

 

Jusqu'à présent on a considéré les professeurs comme, à la fois, les détenteurs des connaissances, les transmetteurs de connaissances, donc dotés d'une certaine capacité de communication pour expliquer les choses et les rendre plus claires, et ceux qui sont les chefs de la classe au sens disciplinaire du terme ...Qui sont donc chargés d'une double fonction très difficile, de transmettre les connaissances en intéressant les gens donc en créant un climat de motivation, de curiosité et d'écoute, mais qui en même temps doivent savoir taper sur la table et punir pour faire respecter le règlement, la règle.
Or aujourd'hui, compte tenu de l'irruption des technologies, on voit que les professeurs deviennent plutôt des médiateurs de connaissances, c'est à dire des médiateurs qui agissent à un carrefour que j'appellerai le système de communication de la classe, fait d'individualités, de personnalités différentes, des médiateurs qui de plus en plus devront jouer le rôle de catalyseur d'intelligence collective. Ces personnes, par leur formation, leur expérience, vont aider à contextualiser les faits reçus par bribes ou par discipline, d'une manière linéaire, dans une vision systémique et interdépendante d'un monde qui change.

Des passeurs et des pasteurs.


Donc ce sont vraiment des catalyseurs au sens le plus noble du terme, des catalyseurs d'intelligence collective, des personnes qui sont capables d'être à la fois, si je peux me permettre cette expression, des passeurs et des pasteurs. C'est à dire que jusqu'à présent la grande image du prof que l'on avait c'était celle du pasteur... celui qui guide le troupeau, qui rassemble les brebis égarées, qui dépiste les moutons noirs... Ce n'est plus ça. Ce n'est plus seulement ça. L'enseignant doit être un pasteur, un guide, mais un passeur. Le passeur au sens de celui qui va initier des gens, dans le labyrinthe de la connaissance, à trouver leur chemin vers la connaissance et vers la lumière, vers quelque chose qui les ouvre à un monde qu'ils ne connaissent pas et par lequel il faut passer, avec risque, en étant aidé, initié, conduit. C'est cela le passeur.
En fait la différence entre le passeur et le pasteur c'est que beaucoup de pasteurs sont prédéterminés ou nommés tandis que des passeurs ça peut être chacun de nous, d'où l'importance de la coéducation. Un élève peut être un passeur pour un autre élève et nous pouvons, nous, dans nos familles, aider nos enfants à contextualiser les informations qu'ils reçoivent à l'école pour être à leur tour des passeurs vis à vis des autres et pas seulement des pasteurs.

Le troisième point que je voulais soulever c'est celui des méthodes et des contenus: Comment et quoi enseigner ?

Voilà la grande question d'aujourd'hui face à la complexité.
L'écologie arrive, l'informatique, qu'est-ce qu'on fait? On rajoute écologie et informatique? On met l'informatique dans les maths et l'écologie dans géographie, biologie, qui existent déjà? Ou on rajoute une discipline? On va mettre de l'écologie dans les vingt et quelques heures de cours par semaine des élèves?
Il faut des profs d'écologie, il faut les former. Mais qui prend-on comme prof d'écologie? Des gens qui viennent de la géographie? De la biologie? Ou des nouveaux qu'on forme? Chaque fois qu'il y aura une discipline nouvelle on va rajouter des heures?
Alors on est confronté à la crise de ce que j'appellerai « l'enseignement encyclopédique » par rapport à « l'enseignement systémique »
L'encyclopédisme consiste à créer des secteurs, des domaines, et à distiller de manière taylorienne cette information dans le temps du programme et du cycle, à une certaine dose qui permet ensuite de vérifier que les élèves ont acquis une partie de cette dose, ce que l'on va tester de manière quantitative et pas qualitative par un processus qu'on appelle l'examen. Et d'ailleurs avec une limite : on dit : « au dessus il a la moyenne, en dessous il ne l'a pas » Donc on a un processus complètement quantitatif, complètement taylorien, complètement linéaire pour à la fois faire passer la complexité et en même temps juger que les gens ont acquis une partie de cette complexité.
Ça, c'est la démarche encyclopédique classique. Pour moi l'image de l'encyclopédisme c'est comme un gratte-ciel, avec des tas d'étages, avec des tas de pièces, avec des tas de numéros, et quand vous demandez la pièce qui s'occupe de l'immunologie analytique c'est l'étage 28 pièce 423 couloir 12. Et quand il y a une nouvelle discipline on rajoute un étage, on rajoute une pièce.

L'approche systémique est tout à fait différente.

La systémique se concentre sur l'interdépendance des facteurs, sur le fait que l'on peut dans une discipline trouver des éléments communs à une autre et, en fait, l'approche systémique, à la différence du gratte-ciel, c'est comme une sphère ou comme un point, (un point c'est comme une petite sphère qui grandit) qui rebrasse en permanence tous les éléments de la connaissance.
La biologie et les feedback en biologie, la cybernétique de la biologie peuvent aider à mieux comprendre les feedback et la cybernétique de l'économie.
Les grands cycles en écologie et les régulations des cycles en écologie peuvent aider à mieux comprendre le métabolisme cellulaire parce que les principes de la cybernétique sont communs aux sciences sociales, aux sciences écologiques ou aux sciences chimiques.
Donc il y a des données transversales que la systémique a fait ressortir. Je vous renvoie à plusieurs livres dont « Le macroscope » mais beaucoup d'autres, d'Edgar Morin et bien d'autres gens, qui essaient d'expliquer que plutôt que d'avoir une démarche analytique et encyclopédique, on pourrait adopter aussi une démarche systémique permettant de regrouper les connaissances et de former ce qu'on appelle des invariants, tenant compte bien entendu des mathématiques, de l'informatique, de la théorie et de la dynamique des réseaux, de la théorie du chaos, et de toute une série de domaines qui permettent de croiser les disciplines entre elles et de les rapprocher.
Et puis j'ajouterai à cette éducation systémique, à coté de l'éducation encyclopédique et analytique, ( que les jeunes d'ailleurs rejettent de plus en plus parce qu'ils n'arrivent plus à faire le lien dans toute l'analytique qu'on leur assène et la globalité du monde dans lequel ils vivent. Quand on leur explique les liens entre les choses non seulement ils comprennent mais ils veulent aller plus loin. Donc là il y a un champ passionnant qui n'est pas encore dans les programmes (même si ça change un peu), l'éducation fractale.

Qu'est ce que le « fractal »? C'est un terme créé par un mathématicien français. Cela veut dire une structure qui est la même quelle que soit l'échelle d'observation. Du micro au méso, du méso au macro, les structures restent les mêmes.
Prenez un chou-fleur ou une fougère, si vous regardez une toute petite brindille de la fougère, la feuille dans son ensemble ou le massif, ce sont les mêmes structures qui se répètent à l'infini comme des poupées russes.
Donc je dis, et j'expérimente aussi cela, que l'éducation au lieu d'être purement linéaire peut être fractale. C'est à dire que dans votre premier cours vous faites toute l'année. Comme l'introduction de mon article de presse, où dans les 10 premières lignes on vous dit tout ce qu'on va vous dire. Et puis ensuite on décline en spirale, on revient, on revient, pour que les élèves sachent où vous voulez en venir pendant toute l'année, ce que vous voulez leur dire et où ça se situe par rapport à leurs préoccupations.

Voilà quelques approches nouvelles sur les méthodes et les contenus. Vous voyez que je ne veux pas favoriser les maths ou l'écologie plutôt que l'informatique, je dis simplement qu'on peut faire des maths, de l'écologie ou de l'informatique à condition de trouver des sujets globaux qui permettent par le haut de la pyramide de descendre aux éléments de formation plutôt que de commencer par le bas de la pyramide pour apprendre toutes les disciplines dont on aura besoin pour arriver en haut même si la pyramide s'est désaxée vers une autre vocation qu'on a eue en cours de route.

Le quatrième point que je voudrais développer, c'est celui qui concerne maintenant ce que j'appellerai un « système pédagogique »


On en vient à des propositions.


Pour mettre en œuvre l'éducation systémique ou fractale, pour mettre en ouvre le réseau de communication dans lequel le professeur est un catalyseur et un médiateur, nous devons considérer la classe comme un système de communication humain, un système de relations humaines. Et dans ce système, de plaquer des technologies non seulement n'a pas d'effet mais peut au contraire désorganiser le réseau de relations humaines de la classe. Il est donc important d'avoir présent à l'esprit ce que j'appelle le « système pédagogique classe » Cela veut dire que le médiateur enseignant devra se forger un projet pédagogique, quelle que soit la classe et l'âge, et en fonction de ce projet pédagogique choisir les technologies adaptées pour mener à bien ce projet.

Et c'est là qu'on voit les technologies entrer en ligne de compte. Les technologies les plus porteuses pour renforcer un projet pédagogique, ce sont celles qui permettent des interactions rapides du temps réel, la recherche d'informations, la confrontation des informations, le contact et les réseaux avec d'autres élèves, à d'autres lieux, par l'Internet ou les réseaux wifi ou airport, tous ces systèmes sans fil qui permettent aujourd'hui de communiquer, la messagerie, les forum et pourquoi pas (et je le dis ici parce que je considère qu'on n'a pas fait assez d'expériences pédagogiques sur la messagerie instantanée que beaucoup de jeunes utilisent mais pas à des fins pédagogiques) le SMS, le MSMS avec les téléphones caméras, ces domaines qui, il est très intéressant de le voir, ont été proposés par les gens eux-mêmes, comme SMS, wifi, IS, P2P, le téléchargement de musique, de films, le chat, l'e-mail,... Ces domaines ont été promus par les « gens d'en bas », les usagers, et non par les gouvernements, les pouvoirs publics, les industriels... Ils ont proposé des software mais ce sont les gens qui les ont récupérés, réutilisés.

Infra structures et info structures


Ce qu'on n'a pas su faire, nous, c'est développer les info structures plutôt que les infra structures. On développe des infrastructures visibles, des fibres optiques, des réseaux de télécommunications, des choses que l'on peut inaugurer, mais les info structures, c'est ce qui met les gens en contact. Or ces info structures ce sont les gens qui les ont développées eux-mêmes.
On n'a pas encore fait le pas d'utiliser ces outils essentiels des jeunes pour la pédagogie et l'enseignement, même si le dessin animé et les jeux vidéo commencent à entrer progressivement dans les programmes scolaires. Le projet pédagogique du professeur doit savoir sélectionner selon les cas l'Internet, le DVD, des jeux interactifs, voire des jeux de rôle, (d'ailleurs les études de cas sont des jeux de rôle), la wifi, les PDA, et les téléphones portables, en sortie, en groupe d'exploration nomade, de créer un petit réseau d'intelligence collective qui exploite globalement sur le terrain des éléments que le professeur va indiquer toujours dans son rôle de catalyseur plutôt que de détenteur essentiel des connaissances.

 

Dans ces technologies du futur, évidemment il faut parler de ce que l'on appelle de plus en plus la e-education ou le e-learning. Encore une fois beaucoup de gens, notamment aux USA, pensent que le e-learning va remplacer certaines classes, moi je ne le crois pas du tout.
Je vois Internet et l'intranet au centre d'une sorte de matrice dans laquelle on a, vers le haut, les technologies les plus sophistiquées et vers la gauche celles qui touchent le plus de monde, et vers le bas les technologies les plus simples et vers la droite celles qui touchent une personne.
Si vous allez en haut à gauche, c'est le satellite, très sophistiqué et qui touche beaucoup de monde, si vous allez en bas à droite vous avez le livre et le tuteur qui touchent une personne. Donc dans cette matrice vous avez l'ensemble des moyens pédagogiques actuels : depuis l'ordinateur, (en enseignement assisté par ordinateur) jusqu'au bouquin, jusqu'au séminaire, à la classe, au cours.

A mes yeux, le e-learning est le carrefour permettant de choisir à la carte grâce à l'Internet et à des logiciels adaptés, des produits et des services éducatifs adaptés à certains publics. Mais ce n'est pas le remplacement de l'un ou de l'autre, puisqu'on aura toujours besoin de la relation humaine, du contact, de l'émotion, de la sensibilité, et l'électronique n'y changera rien et ne les remplacera évidemment pas.

 

Enseigner aujourd'hui c'est transmettre des connaissances, mais contribuer à la culture.

Enfin le dernier point que je voulais soulever avec vous va nous entraîner un peu plus vers les valeurs et vers la culture au sens large.

Enseigner aujourd'hui c'est transmettre des connaissances, mais contribuer à la culture.

Qu'est ce que la culture? Chacun a sa définition évidemment, mais pour moi, et je me jette à l'eau, la culture c'est un ciment qui permet de réunir les éléments épars d'un monde disjoint, c'est à dire d'un monde que nous recevons par bribes: par l'école, par les disciplines analytiques, par les médias, par la télé... nous recevons des bribes de faits, des bribes d'éléments... La culture c'est ce ciment qui va nous aider à intégrer. Pour moi la culture c'est l'intégration. C'est l'intégration à tous les niveaux qu'on soit, très cultivé, pas cultivé... « cultivé », *(attention, je ne crois ni à la culture des cultivés ni à la culture des spécialistes. La culture des cultivés, c'est celle de ceux qui savent des petits riens sur tout. Ils savent plein de choses et les répètent dans les dîners en ville ; on dit « ils sont cultivés ». Et puis la culture des spécialistes c'est celle de ceux qui savent tout sur rien, ou de petites choses. Ils sont très forts en la matière).
Pour moi la culture, ce n'est pas de savoir rien sur tout ou tout sur rien, c'est être capable de situer des faits dans un contexte évolutif qui donne du sens ou non à sa vie par son action, et surtout par l'évaluation de son action. Et ça, ça peut être quelqu'un de très simple, de très frustre, qui a une culture du terrain, de la nature, et qu'on ne mesure pas avec un quotient intellectuel mais plutôt avec un quotient émotionnel.

Donc transmettre cette culture ne peut se faire qu'en fonction de valeurs.


C'est là où l'on voit que culture et valeurs sont reliées. Les valeurs ça ne se décrète pas, ce sont des choses qui émergent, comme l'éthique, d'une relation partagée en réseau, ce ne sont pas des choses qui sont révélées, c'est à la fois immanent et émergent, et ça résulte de la communication en société. Et par conséquent on peut ensemble construire des valeurs à l'école, dans la famille, qui permettent de hiérarchiser les priorités, de donner du sens à ce qu'on fait et aussi de choisir les informations qui sont pertinentes pour sa vie et pour son action.
Et c'est là où les enseignants peuvent aussi énormément aider dans cette vision nouvelle de l'éducation. C'est que nous sommes aujourd'hui soumis à un très grand risque, celui de « l'info pollution », c'est à dire que la complexité du monde entraîne une complexité de l'information, que nous avons du mal à privilégier tel article plutôt que tel autre, tel livre plutôt que tel autre... Or si nous avons une échelle de valeurs assez forte, si nous avons créé son capital temps, alors nous avons les moyens de lutter contre cette info pollution et de choisir les informations les plus pertinentes pour son action.

Le projet pédagogique, c'est le système de communication pédagogique.


En conclusion, ce que je voudrais dire c'est que la classe hight tech, je n'y crois pas. La relation humaine, c'est l'essentiel. Les nouvelles technologies sont des TR et pas des TIC.
Ce ne sont pas des « Technologies d'Information et de Communication », ce sont des « Technologies de la Relation »
L'e-mail, le téléphone portable, l'Internet, ne sont pas des TIC, ce sont des TR. Et donc la relation est essentielle. Cette relation peut passer par les technologies, passer par le contact humain.
Il faut catalyser et créer un environnement qui motive, qui excite la curiosité et donne envie d'aller plus loin :c'est le projet pédagogique, c'est le système de communication pédagogique.
L'œuvre de l'enseignant, du professeur, c'est d'aider les gens à faire de leur vie un original, c'est à dire une vie unique et pas une copie des vies d'ailleurs.
La vie, nous n'en avons qu'une, alors, autant en faire une belle œuvre, un bel original.

 

 

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