Rythmes, une question de temps et d'espaces

            La réflexion au sujet des rythmes scolaires ne peut se limiter à la question de la durée d'une journée de classe, du nombre de jours passés à l'école par semaine ou de la répartition des vacances sur l'année. Il est important de porter cette réflexion sur le temps en terme qualitatif plutôt que quantitatif. Une mauvaise répartition des activités a plus de répercussions sur la vie des élèves et des enseignants (le bon équilibre des uns et des autres étant étroitement lié...) que la durée du temps passé dans un établissement.

 

            Il serait intéressant de démarrer notre réflexion à partir d'un constat : les changements observés chez les enfants montrent une évolution des besoins sociaux de l'enfant, le poussant de plus en plus à échanger et à partager avec les autres (ce qui l'amène progressivement à délaisser les activités solitaires... comme la lecture !). C'est, par exemple, ce que révèle le «Kids and Family reading report» de 2010 :  http://www.digitalbookworld.com/2010/digital-natives-and-ebooks-missing-the-point/, édité par le groupe Harrison et l’éditeur Scholastic, basé sur un sondage auprès d'enfants américains et leurs parents. 

 

            En ce qui concerne les adultes d'autre part, on constate dans toute entreprise que le risque d'être exposé au stress augmente avec l'isolement et aussi avec la monotonie des tâches... Pour cette raison, les chefs d'entreprise sont invités à prendre plus en compte le facteur humain, en développant par exemple le travail en équipe et la solidarité entre leurs employés, mais aussi en veillant à respecter les rythmes propres à chacun.

 

            Jusqu'à présent, dans nos écoles françaises, les meilleures conditions n'ont pas été réunies pour répondre à ces objectifs de solidarité entre les personnes et de diversification des activités proposées. Le travail en équipe fonctionne mal (une réunion de temps à autre ne suffit pas...), les enseignants restent encore beaucoup trop isolés les uns des autres, certains «enfermés» dans leur classe, porte fermée du matin au soir. Les activités «lourdes» (les fondamentaux...) s'enchaînent sans répit, ne laissant ni aux enseignants ni aux élèves ces petits moments de relâche qui leur permettraient de repartir ensuite la tête plus claire. De plus, on oblige encore trop les élèves à rester assis, coincés entre chaise et table, pendant une longue journée de classe.


            Comment répondre à ces besoins pour améliorer la qualité du temps passé en classe ?

 

            1°) En favorisant le travail en équipe des enseignants et la mutualisation de leurs compétences.

 

            Les rencontres mériteraient d'être quotidiennes (sur le temps de travail) avec pour objectif : la préparation des progressions pour un même niveau, celle des évaluations, puis des bilans et remédiations éventuelles, celle des séances hebdomadaires, celle de la répartition du travail pour la journée (préparation de planning : classe entière ou sous-groupes, organisation, lieux...) 

 

            A première vue, certains objecteront que cette proposition risque d'augmenter considérablement le temps de travail des enseignants... En y regardant de plus près, ils seront surpris de découvrir que c'est tout le contraire. Ils passeront moins de temps à préparer leur classe s'ils sont plusieurs à travailler sur le même sujet. Ils pourront aussi déléguer certaines tâches pour ensuite en discuter en commun. Enfin, ils pourront mettre en avant certaines compétences personnelles et prendre en charge différents groupes dans la même discipline (comme dans le cadre des échanges de service qui ont lieu actuellement dans les écoles, mais en généralisant ce principe). 

 

            2°) En favorisant le travail en sous-groupes des élèves, en fonction des besoins de chacun.

 

            Un enseignant pourrait, comme c'est le cas actuellement, être responsable de sa classe. Par contre, à certains moments de la journée, cette classe serait dispersée pour former divers groupes de besoins, rassemblant des élèves de classes différentes.

 

            Certains groupes seraient pris en charge par un enseignant, qui ne dispenserait pas de «cours» théoriques, mais inviterait les élèves à travailler ensemble eux aussi, afin de partager leurs difficultés dans certains apprentissages et trouver en commun des outils pour progresser.   

D'autres groupes seraient en autonomie, sous la surveillance de l'enseignant, mais sans son intervention : activités ludiques libres, lecture, dessin, recherche documentaire, productions manuelles, accès à l'outil informatique (logiciels ou internet).

 

            Sur ce dernier point, il semble évident que l'outil informatique mérite d'être largement diffusé dans les établissements scolaires :

 

-        gain de temps considérable pour les enseignants (préparations, bilans, projets...)

-        motivation pour les élèves, et surtout, cette possibilité de socialisation mentionnée plus haut : des projets avec des établissements scolaires étrangers, francophones ou non (échanges sur loisirs, lectures, culture etc.) pourraient être facilement réalisables en utilisant des plateformes d'échanges auxquelles ils auraient libre accès pour échanger avec d'autres enfants du monde entier. L'école deviendrait un lieu de rencontre, une ouverture sur l'extérieur.


            Ce qui semble important pour les élèves, c'est d'éviter les longues périodes de concentration et d'immobilisme obligatoire, comme c'est le cas trop souvent. D'où la nécessité d'alterner temps d'apprentissage soutenus et temps «allégés», plus ludiques et plus dynamiques, leur donnant la possibilité de se ressourcer et d'être disponibles pour la reprise d'activités demandant plus d'attention.


            3°) En prévoyant plus d'enseignants que de classe pour permettre à cette organisation de fonctionner.

 

            Le directeur d'un établissement ayant opté pour cette organisation de travail verrait ses charges augmenter, car il serait alors un véritable responsable d'équipe : répartir les tâches, coordonner, motiver, accompagner... Il serait alors indispensable qu'il soit totalement déchargé de la responsabilité d'une classe. Par contre, rien n'empêche qu'il puisse participer aux activités pédagogiques, en suivant par exemple un sous-groupe à certains moments de la journée.

 

            Il serait judicieux d'avoir, en plus, un enseignant sans classe qui serait toujours présent dans l'école pour assurer les remplacements d'une part, et pour participer lui aussi aux activités en sous-groupes d'autre part. Si le budget ministériel le permettait, l'idéal serait qu'un enseignant soit affecté sur ce nouveau genre de poste. Dans le cas contraire, pourquoi ne pas envisager de confier ce rôle à des stagiaires en formation professionnelle ? Ce serait transparent au niveau du budget et cela donnerait, en plus, l'occasion d'une pratique sur le terrain à de futurs enseignants (ainsi qu'une chance de partager et de commenter leurs expériences avec des enseignants déjà formés au métier).  

            Ce fonctionnement présenterait en outre un énorme avantage pour le personnel de l'éducation nationale, qui s'est considérablement féminisé au cours de ces dernières années : celui de pouvoir bénéficier d'un aménagement du temps de travail pour les mères reprenant après un congé maternité (par exemple, octroyer un droit d'absence dans la journée pour allaiter son enfant...).

 

            4°) En concevant autrement l'organisation spatiale des établissements.

 

            Dans l'idéal, les établissements devraient avoir une structure facilitant cet aménagement du temps de travail. Les longs couloirs où les classes s'alignent en enfilade, avec des salles informatiques ou des bibliothèques excentrées ne sont guère propices à la mobilité et au partage. L'école devrait devenir un lieu plus convivial et plus ouvert à la fois sur elle-même et sur l'extérieur.

 

            On pourrait ainsi imaginer une structure centrale regroupant des activités de loisir, ou culturelles, sur laquelle chaque classe aurait facilement accès (sans impliquer de longs déplacements ou une réorganisation des tables et des chaises à chaque changement d'activité !). Cette proposition reste pour le moment difficile à envisager en raison des coûts de (re)construction à mettre en œuvre. Mais il s'agit peut-être de l'avenir des écoles, le bon sens amenant à se demander l'intérêt à vouloir conserver des écoles rurales à deux ou trois classes, ayant trop peu de moyens humains et financiers pour offrir les meilleures conditions de travail à nos enfants...

 

            En zones rurales, des regroupements d'écoles permettraient aisément de mettre en place les aménagements évoqués ci-dessus. Et pourquoi ne pas aussi envisager d'accoler des structures de garde pour très jeunes enfants (non scolarisés) à proximité des établissements scolaires ? Les parents y gagneraient en temps (en début et fin de journée), de même que les enseignants, qui sont eux aussi parents : une occasion de réconcilier vie professionnelle et familiale... 


Sylvie Aupetit,

Professeur des Ecoles

Secrétaire départementale Avenir-Ecoles CFE-CGC Somatothérapeute-sophrologue et auteur de "Mieux vivre avec sa classe" (Ed. de la Hutte)